Je suis ravie de commencer cette série d’interviews avec une actrice de notre économie locale engagée, consciencieuse, amoureuse de son travail et de sa précieuse épice rouge…
C’est au milieu de ses champs fleuris à Beaupuy (31) que Myriam, safranière de métier, m’a donné RDV.
Comment votre histoire a débuté ? Pourquoi avoir choisi la culture du safran en particulier ?
“Un tournant de vie a eu lieu en 2012. J’avais ces 1500m2 de terrain et une expérience de la terre. Le safran ne m’était pas inconnu. Ce crocus est une fleur éphémère, sensible, adaptable, généreuse, parfumée… On se ressemble un peu. Je souhaitais aussi faire partie de ceux qui réintègreraient le safran dans notre région. Même si on le connaît plus pour être cultivé au Maroc ou en Inde, le safran était une épice française au Moyen-âge. La main d’œuvre est devenue progressivement trop chère, la production s’est doucement arrêtée.
Cela fait 4 ans que je me suis lancée dans cette culture. Ce n’est pas un métier des plus faciles mais il me plait.”
Pourquoi une culture biologique ?
“J’ai depuis toujours baigné dans cette logique. Il ne pouvait en être autrement. Nous avons toujours porté une attention particulière à notre alimentation, à la nature qui nous entoure, au respect des animaux. J’ai grandi à la campagne et suis habituée à la débrouille, à composer avec ce que nous avons autour de nous. C’est une façon de vivre, donc d’être, simplement.”
Quelles valeurs défendez-vous et comment cela se matérialise t-il au quotidien ?
“Je défends l’agriculture biologique et locale, les produits de qualité, le respect. Je distribue mes produits uniquement au travers des réseaux locaux en quête de qualité : restaurateurs, marchés solidaires… Je propose des stages de formation à qui souhaite se lancer dans la culture de safran : étude du sol, choix du mode de culture… Enfin, je préfère appeler cela de la « passation » plutôt que de la formation. Je transmets mon savoir, mon expérience.”
Quels sont vos produits ?
“Je commercialise majoritairement le pistil de safran minutieusement affiné ainsi que du sirop de safran que les chefs se régalent d’utiliser dans certains de leurs desserts.”
Que dire à propos du safran ?
> L’Histoire
Le safran est cultivé depuis plus de 5.000 ans. Ses origines sont encore incertaines mais on dit qu’il proviendrait de deux espèces sauvages : crocus de cartwright x crocus nivea.
Chacun poussant dans une zone spécifique, l’origine est disputée… Quoi qu’il en soit, nous cultivons aujourd’hui le crocus sativus (sativus=cultivé). Cette espèce obtenue par croisement naturel de deux variétés sauvages est désormais stabilisée. C’est l’homme, qui par sélection de masse a choisi les plus beaux spécimens (couleur, taille, résistance..) pour se reproduire naturellement entre eux, éliminant les autres. Il y a donc bien, aujourd’hui, une seule et même espèce de crocus cultivée par l’homme.
> Les Propriétés
“C’est une plante qui a de nombreuses propriétés connues depuis la nuit des temps.
On lui reconnait des vertus apaisantes, antioxydantes et anti-douleurs (digestives, dentaires). Vous connaissez le sirop Delabarre ? C’est celui qu’on donne aux tout-petits lorsqu’ils font leurs dents. C’est aussi un bon euphorisant. Il joue sur la production de sérotonine, l’hormone du bonheur !”
Il n’y a donc pas que les carottes qui rendent aimable !
> La Culture
“C’est une fleur d’épice qui fleurit entre le mois d’Octobre et de Novembre. Elle a besoin au préalable de grand froid puis d’un terrain pas trop humide et de « chaleur ». Elle s’ouvre à partir de 11°C. Son avantage, elle s’adapte à tout type de sol. La preuve, elle pousse même sur nos terres lauraguaises limono-argileuses, qu’on appelle ici la «boulbène». Ce n’est pas une terre très facile, mais elle est très riche, en été elle s’assèche, se fissure et en hiver elle stocke l’eau. C’est pourquoi je cultive le safran sur butte. Sinon l’eau stagne et le bulbe pourrit.”
En quoi la culture de safran bio est-elle différente de la culture conventionnelle ?
“En cette période les animaux font leurs provisions. Les fleurs de crocus sont donc très prisées. La culture conventionnelle utilise des raticides. Ici un grillage bien enfoncé suffit à dissuader les rongeurs. Nous avons de bien jolies limaces mais les repoussons manuellement. Quant aux sols, ils sont naturellement enrichis, pas d’activateurs de floraison…”
Et les pollinisateurs s’en donnent à cœur joie. Et moi aussi ! Regardez-les se régaler des dernières fleurs de la saison.
Il parait même qu’on peut cueillir les fleurs avec l’abeille dessus sans se faire piquer. Une belle illustration des propriétés apaisantes du safran. Myriam et son mari ont aussi installé quelques ruches non loin de là pour leur consommation personnelle. Entre safran et miel, ils sont parés pour résister à l’hiver !
“Personnellement j’entretiens la terre avec un travail de surface. Pas de labour ! Regardez tous ces insectes qui grouillent sous nos yeux en ce moment. J’ajoute simplement du mulch (déchets de tonte, écorces, paille…) et je rejette les fleurs une fois émondées.”
La terre reste ainsi légère, aérée, naturellement nourrie et surtout vivante !
Justement, pourriez-vous nous raconter les étapes de la culture du safran ?
1-Plantation
“J’ai commencé avec pas moins de 12.000 bulbes biologiques que j’ai donc plantés en Août sur une terre préalablement préparée. Les bulbes sont enterrés à environ 25 cm de profondeur et espacés d’une main.
Ensuite, il faudra attendre Octobre-Novembre et surtout compter sur un été assez chaud pour espérer obtenir un bulbe florifère (qui donnera des fleurs). En général il le devient quant il a atteint 8 cm de diamètre. Il y a 3 ans, nous avions eu un été frileux, la récolte l’a été tout autant.
Non la vie de safranier n’est pas des plus prospères, même si le safran est une des épices les plus chères. Cela reste un métier agricole rude et incertain.
Depuis 4 ans je n’ai rien replanté. Les bulbes se multiplient naturellement. Sacrée économie de temps et d’énergie ! Pour le moment je n’ai pas eu à les transplanter mais il le faudra prochainement pour éviter l’étouffement des bulbes. Sans ça, plus de crocus sativus. Cette culture est bel et bien dépendante de l’homme.”
2-Récolte
“En ce moment pas besoin d’y aller avant 10h du matin. On peut commencer à récolter quand la fleur est à peine ouverte et laisse apparaitre son pistil. 1 pistil se divise en 3 stigmates (ou filaments) minimum. J’en ai ramassé à plus de 5 filaments ! Ce sont eux qui deviendront safran. Les organes mâles sont les 3 étamines jaunes.”
“Une fois la fleur ouverte, nous avons la journée pour ramasser. Le souci du pistil c’est que s’il n’est pas rapidement cueilli, il perd de sa qualité, de son arôme et se détache de sa fleur. C’est donc une surveillance de tous les jours. Parfois je vais au champ pour rien. Celle-ci par exemple sera prête demain.”
“Par contre il m’est arrivé de cueillir en pleine saison plus de 22.000 fleurs en une journée. Nous n’étions pas moins de 10 personnes. Ce n’est pas tout de les cueillir, il faut ensuite les émonder, le tout dans la journée ! Entre rapidité et délicatesse. Un vrai jeu d’endurance.”
Chaque année c’est environ 350 grammes de safran séché et affiné que Myriam obtient. Cela reste bien sûr une moyenne.
En général on récolte 1.500 fleurs/heure et par personne. Aujourd’hui, nous avons récolté à 4 personnes pas moins de 8.000 fleurs en 1h30 environ, et encore nous étions deux à prendre des photos ! Oui, Marie a été de ceux qui ont répondu à l’annonce publiée sur la page facebook. Elle s’est jointe à nous sous ce beau soleil pour découvrir l’univers du safran. C’était un agréable moment de partage en plein air…
Alors on n’a pas bien travaillé ?
Allez, rentrons à la maison et passons à la phase :
3- Emondage
Là, c’est une histoire de famille, de voisinage, d’échanges. On se réunit autour d’une table, on met petits tas par petits tas, pour éviter tout découragement.
Puis, on commence à émonder, à bavarder dans de folles effluves. Je ne vous ai pas dit que j’avais trouvé dans les champs une odeur chocolatée ? Si, si ! Et bien là, fraichement émondée l’odeur s’est transformée en bergamote ! Que de subtilités cette épice…
A chacun sa technique, le tout étant de ne couper que le rouge du pistil, et ce juste avant la déshydratation histoire de conserver le maximum d’arôme et de vertus.
4-Déshydratation
Là c’est la phase que le safranier préfère. C’est à la fois un peu de repos et ici que son safran fait la différence avec celui du voisin. Le secret professionnel est là, caché dans cette enceinte… On sait seulement que la déshydratation est douce et se fait dans le noir. Pas d’oxydation à la lumière et pas de forte chaleur contrairement aux pays chauds où le safran est séché en plein soleil. Voilà pourquoi notre Safran est si différent.
5-Affinage
Une fois séché, le safran est mis en bocal hermétique et dans le noir. Chez Myriam chaque production est espacée d’une semaine.
“Ainsi je vois l’évolution. Il faut attendre minimum 4 mois pour obtenir un produit digne de ce nom. Le millésime 2016 sera donc à la vente au mois de février/mars 2017. En général les meilleurs safrans ont maximum deux ans. Ensuite, contrairement aux vins, ils déclinent.”
Encore une fois, je me suis régalée à voir et sentir les évolutions.
Après séchage, l’odeur reste florale ; au bout d’une semaine elle renvoie des effluves de pâte à pain ; surprenant ! Au terme de son affinage, elle offre son odeur typée, profonde.
Avez-vous quelques recommandations ou petites astuces pour utiliser au mieux ce safran ?
“Le safran se fait macérer, voire infuser, mais jamais bouillir. C’est la règle d’or ! Eau, lait, vin, beurre… Il se marie avec beaucoup de choses mais de préférence avec le poisson et le sucré. La dose standard est de 100 mg pour 1 litre de liquide ou 500 gr de farine…”
Avec qui travaillez-vous ?
“Je travaille principalement avec des professionnels de la restauration et des magasins biologiques régionaux.”
Où vous trouver ?
“Vous trouverez mes pistils de safran chez : Biocoop Montredon, Essentiel mes courses, Artisans du Monde (Esquirol), A travers champs (Belbereau). Vous pouvez aussi acheter directement en ligne via le site : https://safranbio.jimdo.com/ ”
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Et bien voilà, il m’aura fallu pas moins de 3 petites journées aux côtés de Myriam pour appréhender son travail. Un bel exemple d’indépendance paysanne, n’est-ce pas ?
Productrice, Transformatrice et Commerçante.
J’espère que cet article vous aura appris des choses et/ou que vous aurez découvert une belle adresse locale !
Je vous souhaite une douce saison en compagnie de la fleur d’épice de Myriam, que vous pourrez apprécier en ce moment dans la madeleine orange safran ou encore dans l’entremet orange safran KléZia.
A votre santé !
Raphaëlle